Lettre à mes yeux.
(Photo les7duQuebec)
Quand on vient au monde, on vous ouvre, vous, les yeux, mais c'est difficile, aveuglant. Le monde est à découvrir. Devant vous, mes yeux, le sourire de ma mère, celui de mon père. Tellement de choses à voir. Le monde s'offre à vous, mes yeux.
Quelques années après, j'ai réalisé que je ne pouvais pas me voir.
J'ai parfois voulu fermer vous fermer, mes yeux, pas seulement pour dormir.
J'ai voulu trouver celui qui vous fermerait, vous, mes yeux, lorsque je serai vieille et mourante. Sauf s'il part avant moi là où les yeux ne servent plus à rien...
Je vous ai fardés, mes yeux et j'ai joué des cils pour plaire.
J'ai souri avec vous, mes yeux. J'ai joué à poser mes yeux sur des garçons. Des filles, aussi. Certains m'ont tapé dans l'oeil.
J'ai lancé des éclairs aussi. Des regards noirs. J'ai tué par mes yeux. J'ai envoyé se faire voir ceux qui m'ont fait du mal.
Je vous ai vus couler, dégouliner, verser des torrents de larmes. J'ai cru qu'un jour je n'aurais plus de larmes. Mais non, il en reste toujours, des larmes, à l'intérieur de vous. Ces larmes que vous faites couler sur mes joues... Le mascara qui se transforme en traînée noire, torrent de boue...
J'ai voulu parfois vous cacher, pour ne pas qu'on lise à travers vous comme dans un livre ouvert...
J'ai fait des voeux avec un cil sur ma joue.
Mes yeux, il va falloir encore faire un bout de chemin ensemble. Permettez-moi de devenir aveugle pour les éléments moches de ma vie.
Restez grands ouverts pour me montrer encore de belles choses.
Souvenirs visuels à emmagasiner pour mes vieux jours où j'aurai même du mal à lire et à écrire.
Ces jours où je finirai par vous fermer, mes yeux, dans un lit trop grand pour moi.
Vieille. Seule. Dans une chambre d'hôpital. Mais avec un sourire : la vie, quand même, c'est quelque chose...
Fin de l'histoire. Yeux fermés.