Lettre à Laurent.
Salut Laurent,
Comment vas-tu ?
Oui, ça fait longtemps...
Quand on s'est connu, j'avais 17 ans. Toi, tu en avais 21. Jeunes, beaux et cons à la fois.
On se croisait dans les mêmes soirées, chez les mêmes amis.
Tu étais fort pour les séduire, toi, les filles. Elles tombaient en pâmoison devant toi, les ravissantes. Tu les choisissais belles, décolletées et plutôt idiotes.
Moi, je n'étais pas en reste. Ils se laissaient aisément prendre dans mes filets. Je les choisissais beaux, virils et pas très malins.
Tu disais : Celui-là, il n'est pas assez bien pour toi, il fait brute épaisse, non ? Tu étais un peu jaloux.
Je disais : Sa conversation la plus intéressante, c'est quand elle se tait. Elle n'est même pas belle, tout juste assez jolie pour un soir. Les barbies, c'était ton truc. Je n'étais pas jalouse, je te taquinais, tu sais ?
Souvent, nous finissions la soirée à refaire le monde. On avait les mêmes rêves, une p'tite bicoque au bord d'un lac. L'alcool et les fumées illicites nous enveloppaient comme une couette, douce et légère. On s'égarait, tes mains frôlaient les miennes, plus ou moins discrètement. Tu ramenais la Barbie, ou pas... Mon Ken me ramenait, ou pas...
Quand c'était Ou pas, on finissait tous les deux. N'importe où. Dans l'herbe, sous les étoiles, sur un canapé qui grince, dans une voiture... On s'enivrait l'un de l'autre. Toi et moi, on était toujours d'accord, pour l'amour. Enfin, pour le sexe, surtout.
Tu avais de temps en temps une Barbie qui s'accrochait à tes baskets... Je la faisais fuir. Elle était curieusement jalouse quand je t'embrassais langoureusement en soirée... et que tu ne disais pas non. Tu ne m'as jamais dit non.
J'ai eu aussi un Ken plus tenace que les autres, aussi, parfois. Un qui veut rester. Tu le faisais fuir en lui disant que j'étais la meilleure que tu aies connue au lit. Bizarrement, ça plaisait pas trop.
Quel jeu de cons, quand on y pense. On se lançait des défis : "Je te parie que je mets moins d'une heure pour l'emmener dans mon lit, celle-là... Vas-y, chiche !"
Trop fière pour te le dire : Reste. Reste encore un peu...
Trop fier pour me le dire : Viens dans mes bras. Les miens, seulement...
On a appris le mot "sexfriend" grâce à ton pote Fabien. On a bien déliré, là-dessus. On était des "amis de sexe", je disais. Des "potes du cul", tu disais. Ou un peu plus...
On a vieilli.
Tu t'es marié, t'as trois gosses et une femme qui a pris 10 kilos à chaque grossesse. Je t'ai maudit et j'ai boycotté ton mariage. Tu étais déçu. Tu ne comprenais pas. Ou si, tu comprenais trop bien. Tu as déménagé trois mois après. Je ne t'ai pas revu avant ton départ. C'que j'ai pu pleurer. Tu n'en as jamais rien su.
Je me suis mariée avec un Ken stupide et viril. Même pas peur. Le soir, c'est à toi que je pensais quand il me sautait dessus en cinq minutes et s'endormait avant même que je commence à éprouver le moindre frisson. Je l'ai quitté 6 mois après.
J'ai appris que tu es revenu dans la ville de notre jeunesse. Moi, je ne l'ai pas quittée. Je ne suis pas encore trop vieille, j'ai pris quelques rides mais je n'ai pas pris un gramme. Toi non plus, m'a dit Fabien. Encore beaux, moins jeunes et peut-être un peu moins cons.
On se prend un café, un de ces jours, au bar, chez Gégé ? On pourra parler, se raconter nos vies, nos gosses, nos nuits, en rire un peu. Comme avant... Ou pas.
Je précise que dans mes "lettres", il y a une part plus ou moins importante - voire exclusive - d'irréalité... qui peut partir de la vraie vie... ou pas.